Il était un élément de la nature, il en est devenu l'acteur de sa profonde modification. L'Homme a commencé par la cultiver, élevant les animaux et semant les végétaux pour en régler la reproduction. Puis il l'a exploité à travers mines et prélèvements, pillant les sols comme les mers, influençant le climat, devenant le superprédateur détruisant la biodiversité à qui l'on doit le basculement du Monde dans une rupture écologique majeure : l’anthropocène.
Après le pléistocène et l’holocène qui sont les deux premières divisions de l’ère quaternaire, voici que la Terre entre dans une nouvelle époque géologique.
Mais, depuis quand compter ce basculement.
La rigoureuse Commission pour la stratigraphie du quaternaire de l’Union internationale des sciences géologiques doit se prononcer sur la question. Et la tâche n'est pas facile, car fixer une nouvelle époque géologique doit se faire relativement à des marqueurs. jusqu'ici ils sont de nature physico-chimique, comme révélateurs d'un changement sur l’ensemble de la planète.
Les premiers à avoir théorisé la chose sont les anthropologues qui attribuent à l'homme la responsabilité du basculement avec les débuts de l’agriculture, il y a 8 000 ans.
Plus récemment, Paul Crutzen et Eugene Stoermer ont proposé en l'an 2000 que l'on adopte l'année 1784, c'est-à-dire celle de l’invention de la machine à vapeur. et du début de l'industrialisation, polluante, pillant les ressources pour ses productions, s'accompagnant des évolutions sociales et économiques qui mettent la nature au service d'une idée que l'on se fait de l'homme indépendamment de la planète ramenée au statut d'objet de transformation. Depuis cette date, l'homme a relâché 1000 milliards de tonnes de CO2 dans l'atmosphère, et il lui faut aujourd'hui moins de huit mois pour utiliser la totalité des ressources naturelles renouvelables que la planète peut produire en un an. C'est-à-dire qu'il vit à crédit.
D'autres scientifiques, notamment ceux de l’université de Leicester, détermine le basculement plus scientifiquement à compter de la date de dispersion des radionucléides artificiels sur toute la surface de la planète, où ils seront encore mesurables dans des milliers, voire pour certains des millions d’années. Cette date est le 16 juillet 1945 : celle de la première explosion d’une bombe atomique.
À partir de cette catastrophe, au sens mathématique du terme, les mesures ont révélé dans l'air, les océans et les sols, que c'était l'année 1964 qui montrait le maximum de concentration en radionucléides et polluants chimiques persistants. C'est donc aussi une date intéressante pour fixer la frontière du basculement.
En début d'année 2016, des géographes anglais, Simon Lewis et Mark Maslin, ont proposé la date de 1610 comme celle de la découverte de l’Amérique et de la catastrophe écologique majeure et irréversible qui s'est ensuivie. Apportant leurs microbes dans le Nouveau Monde, les Européens ont été la cause de la chute des civilisations et des populations américaines, passant de 54 millions d’individus en 1492 à 6 millions en 1650. Soixante-cinq millions d’hectares de terres agricoles ont alors été abandonnés à la forêt et à la nature qui a ainsi stocké dans les végétaux le CO2 atmosphérique. Conséquence : une concentration de CO2 la plus faible de tout l’holocène (271,8 parties par millions, contre 400 ppm aujourd'hui), entraînant la réduction majeure de l’effet de serre et provoquant un "petit âge glaciaire" en 1610.
Alors, que choisir : -8000, 1610, 1784, 1945, 1964, ou simplement 2016, l'année de la décision arbitraire d'une instance internationale dont l'activité symbolique n'affectera pas, gageons-le, l'évolution de notre planète prise dans des logiques et des intérêts bien supérieurs à la raison. Peut-être, comme le prédisent les transhumanistes, la technologie nous permettra-t-elle de réguler tout cela pour repousser la frontière de la fin de l'anthropocène, celle de la disparition de l'homme classique.