28 mars 2020

DIV : Plagiat et détection du plagiat dans les travaux universitaires.

Je suis un vieux monsieur, vieux professeur, et donc ayant vécu des époques difficiles desquelles nos jeunes générations ont heureusement été épargnées.
Aujourd’hui, dans une situation de crise majeure, je vois ressortir des mêmes vieux démons, des comportements, ceux des voyous et ceux de la dénonciation.
Ainsi, une campagne de promotion d'outils de détection du plagiait été lancée par une société qui propose une formation aux enseignants et aux étudiants ; les premiers pour sévir, les seconds probablement pour dénoncer ou voir si leurs éventuels plagiats passeraient au travers des outils en question.

Cette campagne appelle chez moi plusieurs réflexions :
1/- Tout est plus ou moins gris, et blanc et noir sont des fantasmes.
Dans la vraie vie, celle en dehors du numérique, rien n’est jamais tout blanc ni tout noir. C'est d'ailleurs pour cela qu'il existe des juges, et en matière académique, des professeurs (même si certains sont informaticiens).
Tout est plus ou moins gris, et le clair, j'en conviens, est dans certaines circonstances tout de même mieux que le sombre. Par contre, dans d’autres contextes, c’est le sombre qui tire son épingle du jeu.
Le plagiat pose le problème de la concurrence entre une forme idéalisée d'intégrité, qui postule que tout doit être une création de soi, ne devant rien aux autres, sauf à citer les extraits de manière précise après avoir (donc) vérifié qu'eux-mêmes ne tombaient pas sous le coup de la critique énoncée (qui le fait-il ?). Faire avancer la connaissance ; celle-là est évidemment basée, inspirée et motivée des travaux antérieurs (qui les cite-t-ils tous exhaustivement ?).
2/- Des outils probablement eux-mêmes critiquables.
Si des outils de détection existent, il existe forcément des outils de contre-détection. Ces contre-outils, que l'on trouve facilement sur le web, permettent de transformer des textes pillés pour être indétectables par la première catégorie d'outils. Les plus anciens reposent sur une traduction automatique en langue étrangère, éventuellement corrigée et adaptée par l'auteur du délit, puis une traduction retour que l'auteur peut alors amender, enrichir, etc. Et cela à plusieurs reprises en changeant l’ordre des paragraphes.
Bien évidemment, nous avons là ce que font gendarmes et policiers de manière très légitime : détecter les délinquants. Mais ce sont ici les petits, les maladroits, ceux qui veulent ou doivent pourtant contribuer à une production de savoir ou faire preuve d’un tel savoir pour un examen par exemple.. Mais qu'en est-il des gros que ces outils ne verront pas ? Et qu’en est-il des européens s’inspirant des anglo-saxons, des anglo-saxons le faisant des russes, ceux-là des asiatiques, et chaque groupe à qui mieux mieux des autres, parfois dans des efforts de compétitivité nationale.
De plus, ces outils sont-ils des productions faites ex-nihilo et ex-abrupto ? Ne s'inspirent-ils pas d'outils précédents ou de textes qu'ils ne citent pas ? N'empruntent-ils pas des briques technologiques non citées, elles-mêmes empruntant sans les citer d'autres briques, et ainsi de suite ? Bref, leurs auteurs ou promoteurs peuvent-ils assurer que ces outils ne sont pas typiques de ce qu'ils entendent dénoncer ?
3 - La paranoïa.
Méfions nous des travaux non inspirés, non inscrits dans un contexte d'écrits raisonnables, connus et validés. La paranoïa est parfois le début de l'inventivité, c'est aussi souvent le lieu d'une grande production de déchets qui encombrent, parasitent et handicapent le difficile travail d'évaluation. En retour, l'inventivité est souvent signe de paranoïa et à force de promouvoir les paranoïaques, on ne sélectionne que les hypertrophiques du moi, caractérisés par une fausseté du jugement et un sentiment de persécution ("je ne suis pas reconnu à ma juste valeur : les professeurs sont des ânes, ou ils m'en veulent pour quelque raison que ce soit").
4 - La peste et la honte.
Gardons nous de ce fléau, cette honte : la délation ! (Voir ici, et )
La frontière est une zone grise : la dénonciation serait guidée par le bien, la délation par le mal. Mais qui peut dire où passe la frontière ? La dénonciation n’est-elle pas quelque part au bénéfice obscur, même inconscient, du dénonciateur ?
Si la dénonciation peut être considérée comme un devoir civique, c'est bien entendu lorsqu'elle concerne les crimes et des délits les plus graves, ceux qui portent atteinte à la société, à l’environnement ou à une personne vulnérable.  La question reste cependant débattue entre l'administration qui dispose de textes imposant la dénonciation de proches par exemple dans le cadre de l'infraction routière, et certaines juristes qui pensent que l'obligation de dénonciation ne peut s'appliquer en cas de délit mineur et surement pas d'infraction, sauf pour l'autorité administrative qui y est contrainte sans qu'aucune peine ne soit d’ailleurs prévue pour la non dénonciation.
En France, une dénonciation est un acte par lequel un citoyen porte à la connaissance de la justice ou de l’administration une infraction commise par autrui. Elle se distingue donc à la plainte qui serait une forme de dénonciation émanant de la victime elle-même, et de la délation qui est explicitement faite pour nuire (voir ici). La question reste entière, si l'auteur pillé est une victime et peut donc dénoncer le plagiat, le professeur évaluateur est-il victime ? Quel est la dimension de l'atteinte ? Doit-il régler le problème avec l’étudiant ou le faire traduire d’avant les instances disciplinaires ?
Tout cela dépasse bien évidemment ma compétence et doit être précisé par les juristes et établi par les juges. J'espère que leurs commentaires de ce post seront instructifs. En tous cas, il y a des gens qui en font leur petit commerce.
Il n'en reste pas moins qu’à titre personnel, comme vieux professeur, la dénonciation reste pour moi hors des cas exceptionnels d'atteinte à l'Etat, à la société, à une personne vulnérable, une peste brune, et cela d'autant qu’elle est facile, son auteur et ses complices bien planqués, leur grand nez touchant le tout petit écran de leur machine.




25 mars 2020

DIV : La méthode scientifique n’est pas un enfermement méthodologique.

Pour ceux qui n’auraient pas bien compris quelques chapitres de mon livre sur l’épistémologie et la méthode de recherche (ici), ou pire, qui ne l’auraient pas lu puisqu’il n’est pas en anglais (qu’elle erreur !) : l’éthique n’est pas un absolu, elle s’adapte aux conditions de la recherche !!! Et la méthode n’a souvent que faire des contraintes dogmatiques de certaines publications internationales ou certains critères industriels, les seuls que connaissent les armées de jeunes scientifiques, médecins et autres pratiquants des instances modernes d’évaluation. C'est de notre faute, nous les avons ainsi formés, et à force de petits renoncements, avons laissé s'installer l'ordre qualiticien de certains grands vecteurs scientifiques angio-saxons repris par un ordre scientifique aujourd’hui tout puissant.
La recherche, c’est d’abord et au-delà des modes un état d’esprit et d’inventivité, avant d’être l’application de protocoles et de normes de qualité, n’en déplaise à certains méthodologiques et quelques-uns de mes amis avec lesquels le débat est rude !
Cas n°1 :
On teste sur une pente herbeuse de montagne le meilleur moyen de décoller.
Condition expérimentale : des sujets comparables (ou choisis selon une distribution balancée) sont dotés de sacs à dos.
On leur demande de courir très vite et de tirer sur la poignée attaché au sac.
Premier bras (A) (les médecins appellent cela comme ça ...), les membres d’un groupe sont dotés en double aveugle d’un sac contenant un parapente.
Second bras (B), idem avec un sac contenant un parachute.
Troisième bras (placébo), idem mais le sac et vide.
Les statisticiens s’en donnent à cœur-joie, et on peut logiquement s’attendre à confirmer l’hypothèse selon laquelle le parapente est tout de même le moyen le plus efficace de résoudre le problème de l’envol.
Cas n°2 :
On reproduit la même expérience, mais en vol à bord d’un avion.
À la sortie, les scientifiques qui ont eu cette idée vont (ou devrait aller) directement en prison.
Et du côté des patients, même si certains se cassent un guindeau à l’atterrissage, il vaut mieux tomber sur le parachute que sur le placébo.
Voilà ce que l'on peut rattacher à l'évidence conjecturale, constituant avec l'observation pour preuve scientifique les deux piliers de toute pratique basée sur l'évidence (par exemple MFF), en perspective d’une pratique rigoureuse, ambitieuse de tout contrôler, en double aveugle, dans l’application contextuel de protocoles codifiés dans l'Evidence Based Medicine (EBM), et cela dans un soucis de quête d’un nouvel absolu scientifique qu’on devrait pourtant tester dans d’autres contextes et d’autres temps. Voilà donc également un argument de débat, aujourd’hui.
Tout cela n’empêche pas de refaire, ensuite, l’expérimentation à plat par terre, à la plage, sur une piste d’aérodrome, par exemple lorsque l’avion a atterri, par temps de vent ou de pluie, etc, en prenant son temps.


Pour le débat, rajouté le 15/4;20
- le lien (ici) vers le blog de Jean-Dominique Michel, pour une critique de l’EBM,
- le lien (ici) vers un critique de l’objectivité scientifique.