L'un des modèles les plus stérilisants de la psychologie a été proposé par Alan Baddeley, professeur à l'Université de York, en 1974. Depuis, il est devenu le modèle de référence sur la mémoire dite "de travail" (ça ne s'invente pas !). Le modèle présente la triple caractéristique d'être non réfutable au sens de Karl Popper, une prophétie autoréalisatrice au sens de Robert Merton, et un paradigme dominant au sens de Thomas Kuhn.
Pour Baddeley et la très grande majorité des psychologues qui le suivent, tout repose sur une organisation hiérarchique au sommet de laquelle règne sans partage un "administrateur central", chef d'orchestre d'un duo d'esclaves constitué d'une "boucle audio-phonatoire" et d'un "calepin visuo-spatial" qu'il superviserait pour le stockage temporaire de l'information. Le premier serait séquentiel, lent et contraint par l'organisation auditive et verbale du langage, le second serait quant à lui rapide, global et massivement parallèle comme le serait le système visuel. La "boucle phonologique" comprendrait elle-même deux composantes : un "stock phonologique" maintenant les sons quelques secondes en mémoire, et un "mécanisme de récapitulation articulatoire" réintroduisant continuellement ces sons pour qu'ils restent disponibles un "certain temps". Au pire, s'il manque quelque chose au modèle, on rajoute un autre partenaire (eg: un "buffer" épisodique), ou une connexion quelque part (eg: avec la mémoire à long terme ou d'autres systèmes "cristallisés"), et le tour est joué.
Ce modèle, enseigné sans partage à des milliers d'étudiants, et sur lequel repose des méthodes de rééducation neuropsychologique imposés à d'autres milliers de patients, a fait l'objet d'une feuille de route collective de recherche de la psychologie expérimentale, des neurosciences cognitives et de l'imagerie cérébrale, chacun trouvant évidemment dans ses données les preuves de l'existence des éléments constitutif de la mémoire de travail. On n'a pas encore trouvé avec précision le siège de l'administrateur central, qui doit pourtant se trouver entre le cortex préfrontal humain et la place à la droite de Dieu (!).
Des travaux conduits au Centre de Recherches en Neurosciences Cognitives et Comportementales de l'Université de Liège, à l'aide de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) chez des jeunes sujets occupés à effectuer des tâches d'empan de chiffres et d'empan de mots de longueur croissante, montrent que ces tâches verbales sont avant tout des tâches langagières dépendant des mêmes substrats cognitifs et cérébraux que les processus langagiers. Donc, dès les premières étapes de la mémorisation verbale, le processus se fonde sur l'activation temporaire des systèmes de la mémoire à long terme, contrairement à ce que postule le modèle mythique. De plus, les capacités d'attention sélective jouent un rôle fondamental dans les performances. D'autre part, les travaux montrent l'implication d'un substrat cérébral spécifique caractéristique de la capacité à traiter l'ordre des informations.
Ces travaux montrent que les tâches de mémoire à court terme ne font pas simplement appel à un système de stockage spécifique mais impliquent un ensemble complexe de systèmes cognitifs multiples et en interaction, réintroduisant l'attention, la mémoire à long terme et l'expérience sémantique dans le processus de mémorisation à court-terme.
Steve Majerus et al. (2010). The Commonality of Neural Networks for Verbal and Visual Short-term Memory, Journal of Cognitive Neuroscience, 22, pp.2570-2593.