11 mars 2018

BIO - SHS : Ne pas dire "non" est une histoire de dégoût ou d'autorité.

Vous savez dire non ? Vous avez de la chance ! Certains en sont incapables...
Pourquoi donc certaines personnes peuvent affirmer leur désaccord et d'autres pas ? C'est la question que se sont posée des scientifiques du laboratoire de neurosciences sociales de l'Institute of Cognitive and Clinical Neurosciences de la Monash University (Melbourne), et de l'école de psychologie de l'University du Queensland (St Lucia) en Australie.
Les scientifiques, qui ont publiés leurs résultats dans Frontiers in Human Neuroscience, ont tenté de trouver une explication à ce phénomène bizarre : pourquoi certaines personnes ne peuvent-elles littéralement pas dire "non" ou entrer dans une forme d'opposition à autrui ? Ils ont étudié par imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) les zones du cerveau en activité chez des patients souffrant d'un trouble léger consistant à ne jamais oser affirmer leur opinion propre et à adopter systématiquement celle des autres. Que se passe-t-il lorsque on leur demande toutefois de se forcer à se dépasser et à imposer leur pensée en déclarant leur propre opinion contradictoire ?
Les régions les plus stimulées dans une telle condition expérimentale sont apparues au niveau du cortex préfrontal médian, supposées impliquées dans le langage, la mémoire de travail, et le raisonnement. Mais, à la différence des témoins, une autre zone est concernée : le cortex insulaire qui est stimulé à ce moment-là. Il correspond à un territoire dont l'activité est habituellement associée au dégoût, à la dépendance et qui semble impliquée dans les processus de prise de conscience. Ces deux régions interagissent chez les patients et provoquent un stress intense. Ainsi, lorsqu’une personne qui ne sait ou ne peut pas dire non est amenée à refuser une opinion, son cerveau génère un message d’anxiété, et elle se comporte comme si elle ne se sentait pas autorisée à penser par elle-même. Les personnes souffrant de ce problème se retrouvent alors dans une situation critique, car elles se sentent obligées d’être conformes à ce que pensent les autres, y compris à l’encontre de leur propre intérêt, ce dont elles ont néanmoins conscience.
De toute façon, être en désaccord n’est jamais une partie de plaisir, et ne facilite pas les bonnes relations sociales… Mais encore moins pour ces personnes qui, selon les chercheurs, se retrouvent en situation de "stress mental intense", dans une situation difficile et anxiogène. La solution, pour elles, serait alors de fuir les situations dans lesquelles elles risqueraient d'entrer en désaccord. Ou bien, l'idéal trouvé par certains est encore plus efficace : obliger les autres à adopter leurs idées.

BIO : Le cerveau n'est pas ce qu'il était ... pour les symbolistes, et encore moins pour l'IA.

Le débat n’est pas nouveau. Les psychologues s’écharpent depuis toujours pour l’adoption des modèles interprétatifs du fonctionnement de la pensée. À l’époque de Freud, l’hydraulique donnait les outils de comparaison avec les volumes, les pressions, les équilibres instables entre des volumes d’essences et de densités différentes. Vint l’époque des électrons circulant dans des câbles, celle les étincelles, et des différences entre les électricités statique ou circulante (attention ! il s’agit de l’interprétation du monde par les psychologues, pas par les physiciens). La physique quantique permit l’émergence de nouveaux modèles que vinrent encore plus compliquer ceux de la physique relativiste. La notion d’émergence eut récemment son heure de gloire, avant d’être balayée par le Graal de la psychologie cognitive : l’ordinateur.
En fait, ce n’est malheureusement pas l’ordinateur tel qu’on peut ici le penser, à la fois outil, moyen et objet d’étude de l’informatique. L’Albion est par définition perfide ; et les adeptes des chapeaux royaux imposent leur loi au reste du monde que les collaborateurs de la mondialité s’empressent d’adopter et surtout d’imposer : l’anglais. Outre-Manche, on parle de computer et de computation, c’est-à-dire de calcul. Et voici la cognition réduite à quelques opérations supportées par un organe imaginé comme une machine.
Cela aurait été injuste de poser là une forme de réductionnisme strict. Le génial Turing inventa une machine virtuelle : elle était à la fois le papier, la machine, le calcul et la mémoire… un peu comme s’il était impossible de séparer des choses qui, en fait, n’en sont pas vraiment, des choses. Certains autres génies se réunissaient outre-Atlantique pour donner naissance à la cybernétique, et certains d’entre eux inventaient, pour imiter la machine de Turing, les calculateurs selon l’architecture Von Neumann : un calculateur œuvrant sur des données électriques selon les itérations d’un programme rythmé par une horloge. On n'avait pas assez insisté sur le fait que c'était « pour faire comme si c'était ... ». Le plus grand pouvoir de l'analogie est de se faire oublier.
Et voilà que les psychologues avaient un modèle « concret » d’une idée jusque là parfaitement « abstraite »… un peu comme si Freud avait vraiment imaginé qu’il y avait de l’huile, de l’eau ou d’autres fluides dans la tête… et l’ordinateur devint le modèle du cerveau, et le programme celui de la pensée.
Autant une machine de Turing universelle (et donc virtuelle) est capable d’imiter toute autre machine de Turing, et par voie de conséquence tout ordinateur fonctionnant, autant elle ne simule aucune machine éteinte ni aucun programme non implémenté. Ce sont les deux en mouvement qu’elle simule, ou les deux volets simultanés de la même chose. Elle s’affranchissant de la ségrégation absurde du calcul, de l’information, de la mémoire, du langage de programmation et de l’horloge… toutes ces choses que nos amis électroniciens rendent séparément de plus en plus puissantes, performantes, séduisantes, merveilleusement imitantes.
Alors, pourquoi tant d’argent pour localiser l’administrateur central de Baddeley, la boucle audio-phonatoire ou le calepin visuo-spatial ? Pourquoi rechercher le neurone miroir de la carotte, du visage de sa mère ou de la bouteille de bière ? Pourquoi tant de psychologues formés à l’utilisation de ces modèles ségrégationnistes des éléments de la pensée, en oubliant son incarnation dans un corps d’humeurs, d’hormones, d'os et de viande soumise à la logique de l’humidité ? Les émotions et le cerveau humide… nous voilà bien loin d’une machine virtuelle dessinée au crayon sur un papier sec. D’autant que… le crayon doit être gras, et plus il l’est, plus il marque, et que le papier s’il est très sec part en poussière. Les choses ne sont donc, même pas là, aussi tranchées qu’elles pourraient le paraître.
Alors que penser de l’IA, cette intelligence artificielle dont tant et tant de spécialistes nous disent qu’elle va supplanter l’intelligence naturelle, la renvoyant aux oubliettes des choses obsolètes. C’est un peu comme si l’on avait prédit la disparition du corps humain et sa substitution par des vérins hydrauliques… et en avoir peur, c’est un peu comme si l’on craignait les locomotives qui font. Elles aussi, beaucoup mieux que le corps humain, en restant toutefois sur des rails, car à côté d’eux, elles ne font pas grand-chose.
Tel est l’avenir de l’intelligence artificielle : elle fera de grandes choses qui aideront les hommes, les rendront plus rapides, plus performants, plus puissants, plus intelligents… mais ne les remplaceront pas… Elle remplacera des métiers, fera beaucoup de chômeurs, enrichira encore plus les mêmes, ou d’autres… fera beaucoup de bonheur pour les uns, de malheur pour les autres, et peut-être fera émerger de nouveaux sentiments, transformera des passions et fera vivre les hommes de manière différente, meilleure ou pire selon le point de vue adopté. Mais pourquoi tirer les sonnettes d’alarmes, faire sonner le glas de la fin de l’humanité par l’IA ? C’est un peu comme si l’on avait craint que les locomotives allaient écraser toute l’humanité. La force n’est pas dans le vérin, le piston ou la bielle, comme l’intelligence n’est pas dans la machine. Ils ne font qu’imiter en mieux certaines parties artificiellement décomposées de ce que certains croient être des éléments d’intelligence.
Ainsi se posent deux problèmes : celui de la confusion entre le calcul et l’intelligence, et celui de la singularité. Prenons celle-là : si c’est pour dire que les machines feront des choses que les cerveaux ne peuvent faire, c’est déjà fait ; plus vite, mieux, de manière plus fiable, et sans être obligé de dormir, de se reposer, de ne pas boire ou de conduire. Si c’est pour craindre qu’elles fassent des choses que nous ne comprendrions plus, c’est également déjà fait. Si c’est pour imaginer qu’elles peuvent s’autonomiser, pourquoi pas. Mais si c’est pour penser qu’elles vont faire la même chose que l’homme ou les autres animaux, leur cerveau doté de leur pensée, alors il est probable que l’on se mette le doigt (qu’elles n’ont pas) dans l’œil (qu’elles n’ont pas non plus). Comme le pensent Miguel Nicolelis et Ronald Cicurel : « The Singularity is not near », tout au moins, pas celle qu’on fantasme.
Comme quoi, on peut être pour un transhumanisme rationnel, scientifique, éthique, et dédramatiser le débat dans lequel veulent nous faire tomber certains alarmistes catastrophismes. Nous ne sommes pas sortis du danger de l’holocauste nucléaire, de celui des viroses ou des atteintes bactériennes, de celui de l’impact d’un astéroïde destructeur ou du réveil d’un super volcan. Il est certain que l’IA va aussi compliquer les choses… 
Mais pourquoi toujours se faire peur en donnant un monde sans espoir à nos enfants… ce n’est pas de la faute à l’intelligence artificielle, mais bien aux limites de la pensée naturelle,  empreinte dans ses méandres irrationnels (voir ici).