Il n’y a pas de mathématiques sans langage. C'est ce que montre une étude menée au Nicaragua pour la thèse de Elizabet Spaepen de l'équipe de psychologie de Susan Goldin-Meadow de l'Université de Chicago.
Le travail a consisté à faire passer des tests à quatre sourds-muets nicaraguayens qui n’ont pas appris la langue des signes mais qui ont développé leur propre gestuelle pour communiquer avec leur entourage en dehors du système scolaire. Ils sont socialement bien insérés dans une société économique basée sur la valeur des choses et non sur des approximations. Leurs performances sont complètements différentes de celles deux sourds-muets comparables qui connaissent la langue des signes et ont donc appris les suites numériques ou d'illettrés ayant appris à compter. l'étude est publiée dans les CR de la National Academy of Sciences des USA le 7 décembre 2010.
Les sourds-muets autodidactes ont une compréhension incomplète de la valeur numérique. Par exemple, lorsqu'ils manipulent de la monnaie, ils sont capables de dire que 20 est plus grand que 10 ou que 9 billets de 10 font moins qu’un billet de 100. Cependant cet apprentissage serait basé sur les couleurs et les formes des billets et non sur les chiffres. Ainsi, sur les chiffres abstraits, c'est-à-dire sans compensation, les problèmes sont manifestes et apparaissent des difficultés au-delà du trois. Par exemple, les sujets ne savent pas donner un nombre exact de jetons correspondant au nombre de fois où l’expérimentateur touche le dos de leur main, tout en conservant les effets de proportion (trois jetons pour quatre coups, quatre jetons pour six coups, etc.).
Cette étude rejoins les résultats obtenus par l'équipe de Peter Gordon de l'Université de Columbia qui avait observé que les Pirahã (une peuplade d'Amazonie), qui n’ont pas de mots au-delà de 2 si ce n’est pour dire "beaucoup". Ces indiens ont du mal à manier des quantités supérieures à 3 et l'étude avait conclu que le langage conditionne les capacités cognitives en arithmétique (voir le film). Une équipe mixte de l'Inserm et du CNRS (CR) avaient fait passer des tests aux Mundurucus (Amazoniens) qui ont des mots jusqu’à cinq. Aux tests d’approximation, ces indiens obtiennent des résultats comparables à des Français mais peuvent pas faire de calcul avec une valeur au-delà de cinq. Même en deçà de 5, les nombres sont utilisées de façon floue, un peu comme le terme "douzaine". Le mot 5 qui signifie également "main", est utilisé lorsqu'il y a entre 4 et 10 objets. Les indiens ne peuvent pas exécuter des opérations arithmétiques exactes avec des quantités ou des résultats supérieurs à 5 (impossible de calculer 4-3 ou 6-6), mais disposent d'une capacité d'approximation comparable à celles des occidentaux qui leur sert de base à un calcul bien réel.
Ces résultats montrent que s'il existe une capacité arithmétique (approximation, quantification globale, etc.) indépendante du langage, celui-ci est nécessaire dans la numération et donc dans l'opérationnalisation ultérieure des chiffres.