Le concept «
One Health » ou «
Un Monde, Une Santé » est un mouvement d'idée promu au début des années 2000 et soutenu par l’Organisation mondiale de la santé (
OMS), l’Organisation des Nations unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (
FAO) et Organisation mondiale de la santé animale (
OIE). La One Health entend faciliter une approche systémique intégrée de la santé mondiale, combinant santé humaine publique, santé animale et santé environnementale. Cette démarche trouve son application tant aux échelles locales que continentales et même planétaire. Son but explicite est d’affronter efficacement les maladies émergentes à risque pandémique, et plus généralement tous problèmes sanitaires complexes à l’interface entre l’homme, l’animal et leur environnement commun. La «
One Health » vise à promouvoir une action interdisciplinaire et intersectorielle dans la gestion publique de cette santé conçue comme globalité, nécessitant une étroite collaboration entre les disciplines de la santé humaine, de la santé animale et de la santé environnementale, cela aussi bien au niveau opérationnel et clinique, qu’au niveau des laboratoires et des supports d’exploration biologique, que de la recherche et de l’enseignement supérieur ou de la sensibilisation à une culture de la santé, de la prudence et de la résilience.
Cette approche accorde un rôle majeur aux spécialistes de santé (médecins, pharmaciens, biologistes, vétérinaires…), aux gestionnaires d’animaux (éleveurs, agriculteurs…), ainsi qu'aux personnes en contact régulier avec l’environnement et les faunes sauvages qui les occupent (pêcheurs, chasseurs, forestiers, gestionnaires d'espaces protégés…). La mise en œuvre passe par tous les moyens amenant tous ces acteurs, sans exclusive (et c’est difficile à certains de concevoir qu’ils ne sont pas les supérieurs naturels des autres disciplines) à s’informer mutuellement et à agir d’une manière concertée, en liaison avec les ministères concernés (santé, agriculture, eaux-et-forêts, mer et halieutique…) et les institutions publiques et privées (justice, police, douanes, environnement, transports, affaires maritimes, mais aussi cliniques, établissements de soins, compagnies maritimes ou aériennes…).
Les épidémies comme celles dite de la vache folle, de la peste pulmonaire de Madagascar, de la fièvre de la Vallée du Rift, des différentes grippes aviaires, des SRAS et du Covid-19, etc., mais encore les crises récurrentes d’insécurité alimentaire ainsi que la future catastrophe de l’antibiorésistance qui nous attend dès la sortie de la crise actuelle, nécessitent des approches intégrées de type « One Health » pour aborder la complexité des situations de crise.
Reste qu’il faut alors disposer des outils de cette gestion de crise, par exemple le command and control ou C4ISR, le big data et le cognitive computing, les moyens de la visualisation et de la transmission généralisée et interculturelle des résultats des analyses et des surveys.
Deux volets sont à examiner. Le premier concerne les épizooties, les phytopathologies, les atteintes environnementales, des paysages, des milieux humides, etc. et de la biodiversité, et leurs conséquences en termes de qualité et de quantité d’alimentation des populations. Le second intéresse directement la santé humaine puisque plus de 60 % des maladies humaines infectieuses connues ont une origine animale, au moins 70 % des maladies émergentes ou ré-émergentes graves sont depuis un siècle presque toujours des maladies zoonotiques ou à vecteurs animal, la plupart du temps favorisées par des déséquilibres écologiques, climatiques ou sociaux (migrations, guerres…). Un troisième volet concerne directement la sécurité globale avec le constat que 80 % des pathogènes mobilisés par le bioterrorisme ou les armées voyouses sont d'origine animale.
Mais alors, où est le problème ?
La position française par rapport à la « One Health » a fait l’objet d’un rapport de 2011 (ien ici) reposant sur plusieurs principes majeurs dont on se demande pourquoi certains n’ont pas fonctionné dans la gestion de la crise actuelle. En déclarant soutenir les trois organisations internationales, la France s’engage d’abord dans le renforcement des capacités de santé pour les pays en voie de développement (PED) et à promouvoir une approche régionale du Monde.
Afin de favoriser une coordination accrue entre les réseaux de surveillance en santé humaine, en santé animale, en sécurité alimentaire et en surveillance environnementale, il est appelé à une mise en relation et une coopération plus étroite des systèmes de santé publique et vétérinaire. On se demande alors pourquoi le Ministère de la santé n’accepte pas les offres de service des industries pharmaceutiques vétérinaires pour les productions de tests, de réactifs ou de gels hydroalcooliques. Vantant son expérience dans la lutte intersectorielle et la prévention de la «pandémie grippale», la France propose une démarche de même nature pour la santé des écosystèmes, la surveillance de l’environnement, et la gestion de la situation alimentaire et nutritionnelle. ici encore, on s’interroge sur la non-application de tels principes à l’arrivée du covid-19. Enfin, la France veut favoriser les capacités de diagnostic par la mise en réseau des laboratoires, alors qu’elle refuse l’aide des industries vétérinaires.
Aujourd’hui, l'Académie vétérinaire de France (AVF) interpelle le gouvernement (28 mars 2020) pour que les laboratoires vétérinaires sachant réaliser les tests Covid-19 puissent les produire à grande échelle Et contribuer à l’effort national : voir le communiqué de presse, alors que l’administration française refuse cette aide de 80 laboratoires publics et une dizaine de groupes privés, ainsi que celle des cinq producteurs de réactifs pour la fabrication de tests vétérinaires. Les vétérinaires ont depuis plusieurs années toutes les compétences sur les pandémies, sur les coronavirus, et sur l’approche populationnelle. Les laboratoires vétérinaires savent développer des tests à grande échelle pour ce type de maladies ; ils pourraient être très vite opérationnels pour le Covid-19 alors que les hôpitaux manquent de tout et que la politique de la détection généralisée est repoussée faute de réactifs.
Mais les textes français, échos de la culture nationale de l’unicité médicale humaine, empreints du principe de précaution et de la barrière de l’autorisation de mise sur le marché, ne facilitent pas les choses ; il est d’ailleurs curieux de voir que l’on peut Rapidement adapter le Droit du travail mais pas celui de la Santé, et qu’il reste si difficile de prendre une décision temporaire d’exception sans danger…
D’autres nations ont résolu ce problème : la FDA a donné son feu vert pour mobiliser ses producteurs de réactifs aux USA, l’Allemagne qui systématise les tests de dépistage à grande échelle a mobilisé son réseau de laboratoires vétérinaires, etc.
Au-delà de la spécificité sectorielle connue du monde médical (débat en cours) qui ne faciliterait pas les choses, un élément de résistance réside dans la difficulté culturelle de considérer l’homme comme un animal comme d’autres ; notamment les grands mammifères dont il n’est pourtant qu’un exemplaire dans l’organisation du vivant. La problématique réside dans l’attribution d’un statut, tout admissible qu’il soit, qui glisse d’une conception culturelle à la dimension purement biologique.
Il s’agit là d’un problème complexe, emprunts de différences culturelles majeures entre d’une part des spiritualistes, considérant l’homme au sommet de la pyramide des êtres, certains le croyant être posé là par volonté divine ou y ayant accédé conformément à un plan (intelligent design, etc.), et d’autre part d’autres personnes, privilégiant une vision socioculturaliste de l’humanité, attachée au primat des valeurs idéalisées et constitutives des groupes humaines, états, civilisations...
Entre les deux opèrent donc les ronds de cuir, refusant cette forme de « continuité » entre santé humaine et santé animale, entre humanité et environnement, veillant scrupuleusement à l’application de textes inadéquats, plus qu’à l’initiative et à la facilitation d’une réalisation de l’action commune nécessaire.
Nota : La situation évolue et le gouvernement fait marche arrière.
Le JIM (Journal International de Médecine) informe dans son édition en ligne du 6 avril 2020, qu’à compter de ce jour (
lien ici) :
- les laboratoires vétérinaires sont invités à réaliser les tests de détection du SARS-CoV-2 :
- les respirateurs à usage vétérinaires peuvent être utilisés en réanimation humaine ;
- les médecins sont autorisés à utiliser les médicaments vétérinaires en clinique humaine en cas de pénurie.