11 avril 2007

DIV : Sur l'utilisation politique des universitaires mutiques.

Alors que personne, dans cette université des sciences de l'homme, de la vie et de la médecine, n'élève la voix après les propos extrêmement préoccupants de la part d'un des candidats à la présidence de la République, sur le déterminisme génétique de certains comportements, il m'apparait nécessaire de faire pour nos étudiants un petit rappel sur l'état des lieux en la matière.
Le tout génétiquement déterminé est l'une des thèses fréquemment soutenues par la droite anglo-saxonne, notamment et évidemment américaine. Rappelons que les anglo-saxons possèdent l'immense majorité des organes de la presse scientifique mondiale et que nombre d'entre-eux sont aujourd'hui impliqués dans des travaux portant sur la génétique du comportement.
Cette idéologie larvée, qui depuis le XIXème siècle conquiert jour après jour le terrain laissé vacant par les idéologies sociales, a connu des gloires et des revers. Ses deux principales expansions à l'ensemble du monde occidental, à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, ont donné naissance aux conceptions eugénistes causant ou justifiant pour leurs adeptes, l'expression économique du colonialisme et d'un autre côté la barbarie la plus dramatique et répugnante que l'on ait pu imaginer.
Ce socle idéologique se double d'un autre danger, celui de la toute puissance du réductionnisme en science. Certes, le réductionnisme instrumental, méthodologique, est une nécessité pour qui veut approcher les éléments constitutifs des phénomènes naturels et en modéliser des hypothèses structurales ou fonctionnelles. La fascination, souvent réduite à la facilité instrumentale, voire économique (lorsqu'on a acheté un gros appareil, il faut bien trouver quelque chose pour montrer qu'il est rentable ; et souvent plus c'est cher, plus c'est vrai !!!), laisse oublier que le tout est toujours dans le vivant beaucoup plus que la somme des parties.
Enfin, l'aveuglement des pseudo-scientifiques laisse souvent croire au naïf que ce qui est étudié en laboratoire est la vrai vérité de ce qui existerait imparfaitement en contexte.
Voici trois faux arguments : le tout génétique, le tout dans la somme des parties, la vérité pure dans l'isolement du laboratoire. De telles absurdités sont infatigablement dénoncées par les tenants des théories de la complexité, alors que des scientifiques complices fuient leurs responsabilités de parole, et laissent en pâture de faux arguments aux idéologues ignorants qui clament ainsi leur affiliation culturelle aux plus nauséabondes théories.
Entre autres, et en vrac, pour ce qui est du premier argument appliqué au domaine des gènes et des comportements complexes, (1) rien n'est prouvé, (2) si on admettait qu'un gène était impliqué (hypothèse d'école : pourquoi un, pourquoi de manière univoque, etc ?), rien ne prouverait qu'il s'exprime, et bien entendu (3) ce n'est pas parce que le gène ne serait pas là que le comportement ne s'exprimerait pas. Pour le second argument, (1) il est absurde de penser qu'un comportement, inséré dans une réalité sociale et culturelle riche et complexe puisse être réduit à un gène, et rien ne prouve que si un gène existait, que n'existerait pas un autre gène (2) qui le contrôlerait et/ou (3) dont dépendrait alors un ou plusieurs comportements antagonistes. Pour le troisième argument, en admettant qu'un gène puisse motiver un comportement dans une situation (1) temporelle, (2) spatiale, (3) socioculturelle, etc. donnée, pourquoi le motiverait-il dans une autre situation ? Enfin, un comportement est relatif à sa motivation, sa programmation, les moyens de sa mise en oeuvre, et un système d'éléments non réductible à une simple juxtaposition ; on voit mal alors comment un gène pourrait être déterminant de l'ensemble.
Mais comment les universitaires se taisent-ils encore face à cette sidérante institutionnalisation de la bêtise ? Faut-ils qu'ils s'en moquent, qu'ils y croient, ou pire, qu'ils aient peur du lendemain ?
Rien pourtant ne doit laisser un universitaire muet quant le politique instrumentalise la science, ou que celle-ci s'égare, se pervertit, et oublie qu'elle est une des plus belle production de l'humanité dans la simple simplification compréhensible de la complexité multifactorielle du monde. Rien de plus.
- Philosophie Magazine : l'article ! (accompagné de deux commentaires de Michel Onfray [1] et [2]).
- sur le déterminisme génétique.
- sur la pensée complexe par E.Morin.
- l'association MCX.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

La démagogie s'installe dans la campagne et certains draguent les electeurs pour qui l'eugenisme serait une theorie recevable... les adeptes de la solution finale le pensaient aussi... Il a été démontré depuis qu'elle ne soutenait pas l'analyse scientifique. Comme quoi les vieux démons sont toujours bien vivants, et ils nous faut les combattre encore et encore. Malheureusement il est a penser qu'il nous faudra apprendre à nos enfants a poursuivre cette lutte contre la betise de la pensee humaine.
Jean-Marc André - Maître de Conférences HDR de biologie - IUFM d'Aquitaine

Voir l'excellent article d'Hervé Chneiweiss, directeur du laboratoire Plasticité Gliale du
Centre Paul-Broca (Paris), rédacteur en chef de la revue "Médecine/Sciences", dans l'édition du 10 avril 2007 du Monde.

Anonyme a dit…

Si l'on peut penser que les schèmes “automatiques“ (tels que la respiration ou la régulation du pH sanguin…) sont programmés génétiquement, de même que quelques grands schèmes (tels que préhension, succion, vision), la majorité des chercheurs, depuis 50 ans, s'accorde à considérer que les schèmes plus élaborés sont construits par le sujet humain (Piaget), et dans le contexte de l'interaction sociale (Bruner, Changeux).
A partir de là, deux commentaires :
- En ce qui concerne la recherche, il est vain de prétendre expliquer ce qui est complexe à l'aide de prises de position simplistes. Pour modéliser une réalité complexe (et il ne s'agit pas d'une position de vérité, l'enjeu est celui de la faisabilité de la modélisation), je pense qu'il nous faut des hypothèses robustes, mais qu'elles doivent absolument passer au crible de la pensée critique.
- Quant aux politiques (à certains politiques), qui hier prétendaient légiférer sur l'histoire et aujourd'hui éprouvent des démangeaisons sur le développement cognitivo-affectif (ou cognitivo-émotionnel), je pense qu'ils doivent se centrer avec sérieux sur leur métier (la politique), et laisser aux chercheurs le soin de discourir sur la recherche et ses produits, qui constituent leur domaine.
Jean-Claude Sallaberry, professeur des universités, Bordeaux.