La doctrine militaire occupe une place première dans la transformation que les armées ont entreprise depuis les années 1990, et que l'armée de l'air a tout particulièrement développée dans son plan stratégique "unis pour faire face" (Mercier, 2014). Ce renouveau de la pensée doctrinale est caractérisé par une réflexion dont les perspectives découlent d'au moins trois nouvelles dimensions de la Défense des pays occidentaux, notamment de ceux de l'Alliance atlantique. Elles sont (1) une nouvelle éthique de la guerre et l'acceptation sous contrainte par les citoyens dans le cadre d'une attention continue des médias et de la pression de juristes internationaux, (2) une maîtrise budgétaire avec à la fois des restrictions relatives aux matériels et moyens alloués et celles des emplois disponibles, (3) une nouvelle forme des conflits souvent asymétriques, qui font intervenir des « acteurs non étatiques parfois mal définis, à la motivation idéologique plus ou moins explicite, et parfois candidats à des solutions irrationnelles » pour la logique occidentale, et dont « les motivations émergent autour d’un projet, d’idées et de valeurs qui évoluent au fil du temps ou des acteurs eux-mêmes » (Desclaux, 2015).
La notion de doctrine est mal connue du grand public, et parfois même de certains militaires de formation subalterne. C'est d'abord une construction intellectuelle qui compile, analyse, formule et met à disposition l'ensemble du savoir nécessaire à guider les ensembles militaires dans leur action opérationnelle. Elle prescrit ainsi des règles et les conditions optimales du commandement et de la conduite d’actions de défense et d'opérations. Par voie de conséquence, elle permet à la fois son enrichissement par l'organisation des moyens de réflexion et de décision, et sa diffusion au sein de l’institution militaire. Les armées savent ainsi s’organiser, s’entraîner, prévoir et programmer, s’engager, répondre et développer leur action selon les orientations politiques qui leur sont données.
La doctrine précise la compétence, les portées et limites de l'action ainsi que les conditions présidant à l'emploi de la force, l'ensemble permettant de parvenir aux fins attendues par le politique, et ce dans les conditions diverses dans lesquelles ces armes seront utilisées. À un second niveau, la doctrine militaire permet au commandement de concevoir son action et celle de ses forces en fonction de la complexité des fins en question. Elle permet ainsi de donner à chacun des différents niveaux de commandement les principes d'organisation des moyens dont ils disposent dans l'inventaire des procédures et modes d’action disponibles dans des contextes attendus ou inattendus, connus ou inconnus.
La doctrine donne donc aux militaires des représentations collectives qu'ils peuvent partager à chaque niveau de compétence et entre les niveaux hiérarchiques.
Cette intention de représentation partagée est le point focal de la doctrine. Comme l'écrivait Ferdinand Foch en 1903, l'un des "principes de la guerre" est de disposer d' « une même manière de voir, de penser et d’agir ». Il s'agit dans ce cadre de disposer d'une "interprétation collective" de ce que les armées doivent faire et comment elles doivent le faire aujourd'hui et demain. Elle est formulée dans un langage spécifique, propre à l’institution militaire, pouvant supporter des adaptations spécialisées en fonction des armées, des pays et des enjeux. Elle met également à disposition des spécialistes les moyens de l'amélioration continue de leurs méthodes et de leur environnement, dans ce qu'il est convenu d'appeler la "transformation".
La doctrine militaire est donc intimement liée à la notion de "représentation partagée". Elle est probablement une déclinaison formelle d'une cognition collective qui s'étaye à la fois sur l'histoire et l'expérience du passé ; l'analyse et la conception de l'actualité, et l'espoir d'un développement heureux du futur qu'elle entend maîtriser ou pour le moins auquel elle entend participer de manière majeure.
Elle est donc un champ expérimental à la fois maîtrisé et accessible pour engager une recherche sur la "cognition collective".
C'est dans ce sens que l'ENSC s'appuie sur l'Armée de l'air, et notamment ses centres de réflexion (CESA) et de formalisation (CEAM) de la doctrine des forces aériennes, pour développer son second axe de compétence KX (Knowledge eXchange) à côté des bases de son expertise en UX (User eXperience).
Les déclinaisons expérimentales permettront d'approcher dans un second temps les domaines de l'entreprise et d'autres grands systèmes sociotechniques (Seddon, 2013; Murray et al., 2005).
Desclaux, G., Claverie, B. (2015), C2 et cyber. Pensez Les Ailes Françaises, 32, 61-68. Juillet 2015. Paris : Centre d'Etudes Stratégiques Aérospatiales.
Foch, F. (2007), « Des principes de la guerre », Paris : Imprimerie nationale (1re éd. 1903), réédition Paris : Economica, collection : Stratégies et Doctrines.
Mercier, D. (2014), « Unis pour faire face : plan stratégique de l'Armée de l'air », Paris : Etat major de l'Armée de l'air.
Murray, P., Poole, D., Jones, G. (2005), « Contemporary Issues in Management and Organisational Behavior », South Melbourne : Cengage Learning Australia.
Seddon, J. (2013), « Freedom from Command and Control ». New-York (USA) : Productivity Press.