20 décembre 2018

IA : Pourquoi les machines ne pensent pas.

Le projet des pionniers de l'intelligence artificielle (IA) était de vouloir « modéliser la pensée » pour pouvoir la connaître et la comprendre. Le principe était celui énoncé par Jean-Baptiste Vico selon lequel on ne connaît que ce que l'on crée, et donc que seul le créateur dispose de la connaissance de la création. C'était certainement oublier qu'il est alors facile de se prendre pour Dieu, ce que certains spécialistes de l'IA n'ont pas omis de faire. Et c'est ainsi que l'ambition a été de créer des machines intelligentes et de s'affranchir de la mission de connaissance pour aborder celle de faire. Mais que peut faire une machine intelligente, sinon de l'intelligence, et par là laisser croire qu'elle pense.
Si certains ne considèrent pas Philippe Dreyfus, mort l’été dernier à Biarritz dans l’indifférence générale, comme le père de l’informatique, c’est qu’ils ont oublié qu’il est le père du mot « informatique ». Avant lui, il y avait du calcul automatique, voire électronique, mais l’association des mots information et automatique fut en 1962 l’évènement qui nomma la discipline récente. Un peu, peut-être, comme si un créateur passant par là avait nommé Homme un singe que l’évolution darwinienne avait fait émergé comme pure « création » semantique.
Dix ans plus tard, un autre Dreyfus, Hubert, a montré en 1972 dans What Machine Can't Do  que les machines ne font qu'exécuter des règles abstraites, alors que la pensée humaine est fondée sur l'émergence de contenus mentaux, motivés par les ambitions, des espoirs, des projets, et tant de choses que les phénoménologiques regroupent sous le terme d'intentions. Cette notion d’émergence cognitive est l’une des bases de la pensée de Francisco Varela.
Turing avait déjà jeté un pavé dans la mare avec l'application du jeu de l'imitation aux machines. Ce jeu consistant pour une personne ne communiquant avec les membres d'un couple par des petits bouts de papier écrits, à deviner qui était l'homme et qui était la femme, en sachant que l'un et l'autre pouvaient imiter son partenaire. Il en fit une théorisation pour une machine versus un humain, et inventa le test de Turing. Celui-ci n'est rien d'autre que le moyen de la reconnaissance de l'intelligence à partir de la capacité d'analogie des productions de la machine avec celle de l'humain. Le problème de l’analogie est qu’il s’agit d’une assomption. On ne fait que considérer la similitude de comportement : "c’est comme si ça faisait pareil, mais on sait que ça ne fait pas pareil ... par contre les autres peuvent penser que c'est pareil". Ici, il faut rappeler deux dimensions spécifiques de l'analogie : ma croyance personnelle ou la croyance des autres. Si je fais "vroum vroum", je peux croire que j'ai une grosse voiture, et jouer à faire comme si j'avais une grosse voiture. Si j'ai une voiture qui fait "vroum vroum", les autres peuvent penser que c'est une grosse voiture, alors que je peux très bien savoir que c'est le résultat d'un tuning réussi sur une vieille cacugne. 
Appliquée à l’informatique, on peut caractériser deux catégories d'informaticiens qui déterminent deux formes d'IA. On peut imaginer une IA forte qui ambitionne de créer une vraie intelligence réalisée par des machines, et une IA faible circonscrite à des tâches spécifiques réalisant des briques d'intelligence plus ou moins efficace, mais satisfaisante pour les tâches considérées, analogues à l’intelligence humaine circonscrite à la tâche considérée. On rencontre alors ceux qui rêvent de remplacer le créateur, ou l’évolution, ou la nature, quel que soit le nom qu’on donne à ce qui motiverait ce qui est, et ceux qui tentent de résoudre des problèmes concrets, précis et circonscrits, avec le plus d'efficacité et de sérieux possibles, dans un jeu d’imitation partielle.

Or, si la discussion sur la globalité de l’intelligence ou l’existence d’une collection d’intelligences reste entière, celle de la pensée ne fait pas de doute. Une pensée ne peut qu’être globale, et toute tentative d’une décision d’une pensée partielle est une négation du concept même de la pensée. Donc, dans l’attente d’une éventuelle  IA forte, les machines ne pensent pas.

Aucun commentaire: