Dans la série des échanges qui président au projet d'un établissement universitaire unique à Bordeaux, et afin de contribuer au débat, voici une présentation d'un modèle, issu de l'excellent site "Educavox", explicatif des différences de positions entre différents porteurs du projet,
Une chronique de Jean-Claude Sallaberry sur les "logiques de justifications" dans l'éducation (lien) rappelle ainsi que les "ordres de grandeur" des justifications opérées par les acteurs sociaux correspondent, selon Boltanski et Thèvenot (1991), à des "logiques" de justification sous la forme de diverses "cités". Ces auteurs ont ainsi décrit la cité inspirée, la cité domestique, la cité de l’opinion, la cité civique et la cité industrielle. Derouet (1992) a repris cette classification pour l'appliquer à l'Education Nationale. Il n'observe que trois des "logiques", qu’il nomme "natures". Chacune de ces logiques correspond à des valeurs fondamentales des acteurs, et leur sert de système de référence.
- Nature civique : la valeur centrale est l’universalité du savoir. Accéder au "savoir" exige travail et même ascèse, justifiant la sélection, les choix correspondant à la position des "républicains".
- Nature domestique : la personne est au centre des valeurs, un peu comme on la considère dans la famille ; l’action du système de formation est alors en continuité avec l’éducation familiale — cela impose de "placer l’élève au centre" ; les choix correspondant au point de vue des "pédagogues".
- Nature industrielle : la valeur centrale est l’efficacité. Le souci de l’évaluation est ici central, celle des performances des élèves, mais aussi celle des enseignants et celle du système ; la position correspond au point de vue des "gestionnaires".
Ces trois “logiques“ apparaissent chronologiquement dans cet ordre. Chacune recouvre partiellement la ou les précédentes sans pour autant les annuler, puisque s'en inspirant et s'en revendiquant parfois pour partie.
Comme l'écrit J.C. Sallaberry, "Bien entendu, chaque système de référence permet la critique des valeurs ou actions défendues par les deux autres. Les trois étant généralement présents, les contradictions ainsi tracées participant du désarroi des acteurs et de l’aspect décadent de l’organisation".
On pourrait peut-être renommer ces trois logiques en :
- tendance "civique, élitiste et égalitaire", pour un savoir universel ;
- tendance "humaniste, attentive aux différences", pour des aptitudes individuelles ;
- tendance "libérale, évaluative et orientée vers l'excellence", pour des critères globaux compétitifs.
La première tendance est celle des facultés, celles qui forment et fournissent un savoir, sans s'occuper des débouchés ou des performances des acteurs. Elle a présidé à l'époque des chaires et des professeurs qui en étaient titulaires, des DEA et des doctorats d'Etat, es-Lettres, es-Sciences, en Médecine, Pharmacie ou Droit et Sciences économiques. La pédagogie est alors celle de l'infusion du savoir, des cours magistraux et des collaborateurs qui font les TP à des élèves évalués par concours ou examens terminaux. La seconde est plus particulièrement celle des écoles et des instituts professionnels, centrés autour de l'élève plus que de l'étudiant, avec un souci d'insertion et de pédagogie par projets, concrets et insérés dans la réalité socio-économique. La troisième est celle des universités orientées vers l'excellence, nouveau concept politique d'orientation pour l'accession aux classifications de Shanghai ou aux labels apportant visibilité internationale et crédits pour la recherche, et secondairement la formation.
Reste à savoir comment les acteurs peuvent vivre ces différences, convaincus d'une logique et soumis à une autre. Et comment aider ces acteurs à se situer dans des textes et des principes incompatibles entre-eux. Ainsi, comment resituer la première phrase de l'article premier du Code de l'Education (lien) "L'éducation est la première priorité nationale" en fonction de la compétitivité de recherche et de la valorisation des carrières sur les seuls critères de recherche ? Comment resituer la seconde phrase "Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants" dans une logique quasi mercantile imposée par des restrictions budgétaires et des exigences de la compétitivité et de la valorisation ?
Tant de questions qui dépassent les hommes, peut-être demain broyés par un système qui échappera de plus en plus à l'enseignant, à l'étudiant et probablement au simple citoyen. Il est plus que tant que le législateur s'empare du problème et donne les orientations claires, communes à une société éclairée que nous souhaitons demain pour nos enfants.
Boltanski, L., Thevenot, L. (1991), De la justification — Les économies de grandeur. Paris : Gallimard.
Derouet, J.L. (1992). Ecole et justice. De l'égalité des chances aux compromis locaux ? Paris : Métailié.
Sallaberry, J.C. (2011). Conditions de la formation des maîtres. Paris : educavox.fr - Formation — www.educavox.fr
Code de l'Education. Paris : Dalloz.
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