14 avril 2020

BIO - SHS : À quel âge est-on vieux ? À propos des dérives politiques...



« Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi » déclarait Nelson Madella, inspiré de Gandhi, lors d’un discours aux afrikaners pour la sauvegarde du peuple noir. En perspective, dans son allocution au Peuple français, le 13 avril 2020, le président de la République a déclaré que « pour leur protection, nous demanderons aux personnes les plus vulnérables, aux personnes âgées, en situation de handicap sévère, aux personnes atteintes de maladies chroniques, de rester même après le 11 mai confinées, tout au moins dans un premier temps. » Et de rajouter : « ... il faudra essayer de s'y tenir pour vous protéger, pour votre intérêt ».
Ces deux parties d’un même moment du discours, l’une en introduction, l’autre en conclusion, articulée habilement entre elles, constituent une parfaite illustration des dimensions perverses de la pensée pathologique du politique. La désignation expliçite de ceux qui sont vieux, handicapés ou malades chroniques discrimine ainsi de ce qu’on considère jeunes, sains et entiers. Pourtant, le président est loin d’être seul à penser ainsi puisque, la semaine dernière, la présidente de la Commission européenne a estimé possible un confinement « des plus âgés » jusqu’à la fin de l’année. Chaque psychologue sait bien que la détestation du naturel n’est pourtant que l’expression de la peur, ici celle d’être vieux, là d’être malade ou encore toujours d’être diminué. 
Un des problèmes du politique reste celui de la déclinaison de son dire dans l’écrit de la Loi et de la Réglementation. Et les questions sont donc celles des définitions opératoires, celles qui permettent aux administrateurs, aux administratifs, et aux gendarmes et autres opérateurs de la force de l’Etat, d’appliquer des textes sans le discernement dont on les souhaiterait capables maîtres que leur interdit une justice prompte au respect de la lettre avant celle de l’idée du texte.
Dans un tel contexte, à quel âge est-on âgé ? L’âge est le critère le plus simple à contrôler puisqu’il est défini par l’identité, porté au document obligatoire et indiqué par le sujet lui-même sur la déclaration sur l’honneur que chacun doit signer pour circuler hors de chez lui. Il suffit donc, chaque matin, de connaître la nouvelle date en deça de laquelle le citoyen deviendra contrevenant, vieux délinquant, à sanctionner, voire à priver de la liberté qu’il n’a pas, ou à condamner â des travaux d’intérêt collectif tels que pousser des charriots d’autres vieux ou de malades parfois plus jeunes qu’on aurait eu intérêt à inviter, eux, à rester chez eux. On peut imaginer ainsi un ensemble d’Ehpad entourés d’autres centres de concentration des âgés condamnés et ainsi sortis de l’espace commun. Cela est ni plus ni moins que la base institutionnelle d’un ostracisme anti vieux.
Reste le choix de la frontière ; sur quels critères vont s’appuyer les décideurs pour décider du fer rouge, nouvelle étoile de discrimation à porter de manière plus ou moins visible par ceux qui sortent, de fait, de l’espace de liberté. L’unisson n’est pas de mise et le débat commence à enfler. Deux conséquences à cela : la première, à laquelle on pouvait s’attendre, est que les définitions ne sont ni universelles ni consensuelles, la seconde, plus inquiétante, est que l’idée a déjà fait son chemin et que les hordes de gérontophobes affûtent leurs couteaux.
Le Haut conseil de la santé publique (HCSP) indiquait dans une note du 30 mars sur la stratégie de prise en charge des personnes âgées vivant en établissement que « La population des personnes âgées de plus de 70 ans constitue le public le plus vulnérable à l’épidémie de Covid-19 ». Le ministère de la Santé rapporte que « les patients entre 50 ans et 70 ans doivent être surveillés de façon plus rapprochée ». Quant au président du Comité consultatif national d’éthique, par ailleurs président du conseil scientifique ad-hoc qui conseille le président, considère que l’âge pivot serait celui de 65 ans, parlant à l’oreille d’un gouvernement qui déclarait hier pour le projet de Loi sur la réforme des retraites que l’âge de 67 ans était celui du départ à taux plein. Le MEDEF est plus exigeant encore, expliquant qu’il fait travailler plus et plus longtemps pour sauver un régime dont on ne sait plus trop s’il sera par capitalisation ou restera par répartition. On voit bien qu’entre 50 et 70 ans, la frontière est floue, et qu’elle devra impérativement être contrôlée par le Conseil Constitutionnel dont la moyenne d’âge de ses membres est de 71 ans (de 60 à 93 ans).
Que nous apprend la biologie sur l’âge, pas grand chose sinon une grande variabilité d’un individu à l’autre. L’âge semble correlé à la diminution de la longueur des télomères des chromosomes, ces extrémités non codantes dont le rôle semble pourtant établi dans la production d’erreurs de codage de la reproduction cellulaire. À propos de celle-là, on peut s’intéresser à l’âge à partir duquel on ne se reproduit plus. Au mois d’octobre 2019, la petite Tianci est naît par césarienne dans une maternité de la ville de Zaozhuang, dans l’Est de la Chine, d’un papa de 68 ans et d’une maman de 67 ans. Les dérèglements génétiques, les affres de la vie, tant en santé qu’au travail, les toxicités du milieu et de l’alimentation, sont autant de facteurs de variation qui peuvent faire d’un jeune un déjà vieux ou d’un aîné un vert gaillard. La culture ne nous aide pas et les travaux de l’anthropologie montrent combien ces notions de jeunesse et de vieillesse varient d’un pays à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un groupe social à un autre.
La médecine de ces trois derniers mois indique que l’âge médian des sujets Covid-19 qui en sont décédés est de 83 ans alors que seuls 3 % des personnes décédées avant l’âge de 65 ans ne présentant pas de comorbidité. Mais le psychologue et le physiologiste savent l’erreur épistémologique de certains sociologues, économistes, historiens et autres biologistes des populations prêts à reduire le comportement des individus aux statistiques des tendances centrales et à ce qu’ils définissent comme l’individu type, ou au mieux l’individu représentatif de telle ou telle catégorie ; comme si l’amour, le plaisir, la peur, santé, etc. étaient des notions inhérentes aux groupes.
Et quelles conséquences individuelles sont et seront celles du confinement et de l’ostracisme rampant ? Qui peut le prévoir, sauf à le prédire de manière conjuratoire comme la limitation de vitesse à été appliquée comme potion à l’accidentologie en son temps. Plus facile de criminaliser le conducteur que d’admettre la déchéance du réseau routier et de tout ce qui concours à l’usage automobile et à ses dangers. La majorité des analystes considèrent que c’est là l’origine majeure de la fronde des « gilets jaunes ». Le confinement n’est-il pas, à l’instar, le non dit d’un manque de masques, de gants, de surblouses et des moyens de protection qui ont clairsemé les Ehpad, repoussant d’autant la médiane de l’âge, confirmant dans une tautologie enarquienne que les vieux sont les plus fragiles, puisqu’on les a littéralement tués.
La plupart des spécialistes insistent sur la nécessité de prendre en compte les risques du confinement. Pour les personnes âgées à domicile, le repli sur soi et la perte de dépendance sont des conséquences certaines et irrémédiables d’un isolement et du confinement prolongé. Quelle société, sinon celle rêvée par certains politiciens pathologiques, se permet d’empêcher les enfants de venir visiter leurs parents âgés, d’assister, comme cela a été le cas récemment, aux derniers instants de son père, de parquer les vieux dans des vases clos d’un Covid devenu nosocomial ? L’abomination peut parfois prendre le costume de la respectabilité ou celui de la responsabilité. 
L’appartheid est une abomination, et classer des catégories de citoyens sur des critères biologiques est justement la définition de cette infamie. Comment un pouvoir, aussi éclairé soit-il, peut-il se permettre de s’affranchir de la constitution, de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose de l’égalité de tous et droit. Le principe d’isonomie dispose qu’aucun individu ou groupe d'individus ne peut avoir de privilèges garantis par la loi, et par voie de conséquence, qu’aucun individu ou groupe ne peut être privé d’un quelconque privilège que la loi garantirait à d’autres.

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