En octobre 1950, le mathématicien anglais Alan Turing publiait dans la revue « Mind » un article majeur intitulé « Computing machinery and intelligence.» (Mind, 59, 433-460, 1950). Cet article est aujourd’hui considéré par certains comme l’acte de naissance de l’intelligence artificielle. C’est dans ce fameux article que Turing évoqua pour la première fois le test qui porte son nom et qui consiste, par l’intermédiaire d’un dispositif électronique, à faire dialoguer un être humain alternativement avec deux interlocuteurs, l’un humain et l’autre artificiel. Selon Turing, le jour où l’expérimentateur humain, au terme d’une conversation non préparée, sera incapable de dire s’il a affaire à un interlocuteur humain ou électronique, on pourra alors considérer que les ordinateurs seront devenus véritablement intelligents.
Près de 70 ans passés, les scientifiques et ingénieurs tentent toujours de décrocher ce « Graal » que constitue la première machine intelligente « au sens de Turing ». Dans ces dernières années, une étape décisive a été franchie lorsque l’ordinateur Watson d’IBM a gagné aux États-Unis contre des humains la grande finale du jeu Jeopardy, un jeu nécessitant de très bonnes qualités d’association et de raisonnement portant sur des connaissances de culture générale considérées comme ouvertes, et donc jusqu’ici spécifiquement humaines. Une nouvelle étape a consisté en 2016 pour AlphaGo, développé par Google DeepMind, à battre l’un des meilleurs joueurs mondiaux, et l’année suivante de confirmer l’exploit contre le champion du Monde de la discipline. La machine qui s’était entraînée contre elle-même, a même inventé une nouvelle stratégie qui a désarçonné les experts, stratégie qui est aujourd’hui étudiée et enseignée par les spécialistes de ce jeu millénaire.
L’industriel IBM, titulaire de la chaire « sciences et technologies cognitiques » de l’ENSC, est l’un des acteurs mondiaux de l’aventure vers les machines intelligentes. Il a ainsi continué à perfectionner Watson, lui permettant d’être reconnu au meilleur niveau dans la résolution de problèmes complexes nécessitant de nombreuses inférences heuristiques sur des données non structurées, et pour lesquels la puissance informatique brute n’est pas suffisante. IBM parle pour cela d’un accès à une nouvelle « ère cognitive ». C’est notamment dans le domaine des données médicales que Watson a permis aux meilleurs centres de recherche permettant de recruter des patients pour de nouveaux essais cliniques afin d’accélérer le testing des diagnostics, des traitements et de l’échange des dossiers médicaux.
L’évolution de Watson s’oriente maintenant vers celle de ses composants électroniques et IBM propose des microprocesseurs réellement neuro-mimétiques, afin de pouvoir rivaliser avec le cerveau humain tout en s’en inspirant. Ce programme de recherche, SyNAPSE (Systems of Neuromorphic Adaptive Plastic Scalable Electronics), a été lancé en 2008 mais porte aujourd’hui ses fruits en tant que première réalisation. Un microprocesseur spécifique, la puce « TrueNorth » développée par la marque, comporte par exemple un million de neurones artificiels dotés chacun de 256 synapses, soit 256 millions de synapses, en intégrant 5,4 milliards de transistors. Chacun de ces neurones artificiels est pourvu d’une mémoire permettant de gérer les priorités de chacune des connexions. Selon IBM, il s’agit de l’un des composants électroniques les plus complexes et les plus sophistiqués jamais réalisés : un première ébauche de l’élément de base d’un futur ordinateur « neuromorphique », directement inspiré de la structure et du fonctionnement du cerveau.
Les « neuroprocesseurs » représentent une véritable rupture technologique pour ce qui est de la performance, en s’affranchissant d’une imitation programmée sur ordinateurs classiques. Ils sont surtout plus rapides en disposant des propriétés des systèmes parallèles, mais surtout permettent de consommer 1000 fois moins d’énergie qu’une puce traditionnelle de puissance équivalente.
Pour IBM, l’effort ne se limite pas là puisque le calculateur neuromorphique associe 16 puces « TrueNorth » entre elles, groupées par quatre fois quatre, ce qui représente au total l'équivalent de 16 millions de neurones et donc de plus de quatre milliards de synapses. Nous sommes encore loin du cerveau humain mais pouvons commencer à envisager la simulation de certaines aires ou structures fonctionnellement spécifiques. Une telle architecture est cependant déjà capable, selon IBM, d’effectuer 46 milliards d’opérations synaptiques par seconde et par watt. Le but est de permettre de doter le plus grand nombre de la puissance embarquée d’un cerveau artificiel, pour une IA collaborative, alors que nous n’avons aujourd’hui accès qu’à des puissances des calcul 120 millions de fois supérieures à celles utilisées pour une mission Apollo.
La firme Apple s’est lancée dans une autre perspective de l’augmentation humaine par l’IA. À partir du développement de ces « neuroprocesseurs », les créateurs de SIRI, l'assistant vocal de la firme,, ont lancé un nouveau défi en fondant la société Viv Labs dont l’ambition est de concevoir un programme capable de répondre à toutes les questions que l'on peut lui poser en langage naturel (enfin, ici en anglais). Viv Labs a récemment été rachetée par Samsung, ce qui montre l’intérêt que porte l’industrie à la problématique de la compréhension artificielle. La résolution de ce type de problème associe à la fois la puissance de calcul, mais également l’accès ultra rapide à toutes les bases de données disponibles, avec des algorithmes permettant de les traiter et surtout d’en extraire très rapidement les informations pertinentes qu’il faudra mettre en perspective afin de donner du sens à une réponse par rapport aux attente du demandeur. Ce type de réponse nécessite de dépasser la problématique de la puissance de calcul des microprocesseurs puisqu’il faudra également apprendre à réorganiser selon de nouvelles logiques les bases de données et de connaissances.
Dans le domaine de la prospective, Ray Kurzweil, directeur de l’innovation scientifique chez Google, est persuadé qu’à l’horizon 2045 les ordinateurs seront devenus aussi intelligents que les êtres humains dans presque tous les domaines.
Dans cette attente, force est de constater le rapprochement de plus en plus réussi des machines et du cerveau, permettant d’envisager une ère nouvelle de cognition naturelle augmentée par l’intelligence artificielle. La révolution de l’IA embarquée permet déjà de disposer de terminaux intelligents, branchés sur des vêtements, des lunettes, des montres, des vélos, des automobiles dotés chacun d’une puissance de calcul parallèle incommensurable, et qui permettent d’envisager l’émergence d’une nouvelle cognition partagée entre cerveau naturel et systèmes collaboratifs de cerveaux artificiels.
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