29 mars 2014

BIO -SHS -IA : Découverte du monde sonore par augmentation humaine.

Johanne Milne, une britannique de 40 ans, atteinte du syndrome d'Usher, vient de subir une opération au Midlands Implant Centre du Queen Elizabeth Hospital de Birmingham (ici), l'équipant d'implants cochléaires. Née sourde, elle est également malvoyante depuis une vingtaine d'années, et vivait dans un monde relativement coupé de l'environnement, ce qui est la caractéristique terrible de cette maladie.
Elle a été équipée d'implants électroniques (ref.) qui lui ont permis de récemment recouvrer l'ouïe. En fait, il ne s'agit pas d'une audition normale, mais l'implant étant inséré sous la peau à proximité de l'oreille, il stimule par des électrodes le nerf auditif. Le patient est alors obligé d'apprendre ou réapprendre à faire correspondre des stimulations particulières avec des réponses neuronales dans une nouvelle correspondance sensorielle apprise, à élaborer et à stabiliser.
Une vidéo de l'instant où la jeune femme entend pour la première fois a été postée sur YouTube (ici) ; on la voit entendre et découvrir la voix de son médecin.
Au delà de la découverte de son nouveau sens, Joanne Milne va donc devoir maintenant apprendre à reconnaître les sons et les caractéristiques sensibles du monde sonore : "The first day everybody sounded robotic and I have to learn to recognise what these sounds are as I build a sound library in my brain". L'étude de son comportement d'apprentissage et de l'acquisition de ses nouvelles performances sera probablement très instructive pour la compréhension du système auditif et de la cognition sonore. Notamment, il conviendra d'étudier les préférences, les aptitudes différentielles, notamment en rapidité d'apprentissage, et surtout si la personne supportera ces nouvelles informations et comment elle aura recours à l'interruption temporelle de ses prothèses fonctionnelles.

Deux remarques sont à développer ici, et ferons l'objet d'un séminaire de l'ENSC.
1/_ La première concerne le bonheur et l'augmentation. Après avoir vu la vidéo, nous touchons ici à la compréhension de l'ambition transhumants te positive : augmenter l'homme pour son bonheur. Si c'est air aussi simple! L'augmentation doit elle être récupératrice, clinique ou au contraire à méliorative des personnes saines ? Pourquoi ne pas mieux entendre si la technologie permet de dépasser la performance naturelle ? Et qui a-t-il droit de bénéficier d'une telle technologie ? Tous les malades, ceux qui en ont les moyens financiers ? Tous les hommes normaux ou seulement certains privilégiés ? Et lorsque ce type de technologie serait utile au travail, a-t-on le droit de la refuser sans être licencié, ou la technologie implantée va-t-elle imposer de nouvelle normes aux travailleurs ? À-t-on le droit d'imposer cette technologie, qu'elle soit durative ou d'obligation sociale, à des personnes vulnérables, enfant sourd, personnes âgées, prisonniers judiciaires ou simplement de la politique de l'emploi de patrons festives ? À-t-on le droit de refuser, y-a-t'il un droit à la surdité ? etc.
2/_  La seconde concerne la connaissance du Monde et l'existence des qualia (ref.). L'expérience de pensée des "couleurs de Marie" ("What Mary Didn't Know" de Frank Jackson - Journal of Philosophy 83, pp. 291-295, 1986 -  article posant la question de savoir ce qu'on apprend de plus de l'expérience par rapport à la connaissance symbolique), trouve ici un mode de réfutation inattendu. Manifestement, même si Joanne a connu beaucoup de choses de ce qu'on lui disait du monde auditif, elle semble avoir découvert quelque chose de nouveau dans la confrontation brutale à l'expérience sensible. Sont-ce les qualia, terme par lequel on désigne les propriétés subjectives, qualitatives, de l'expérience réelle ? Une pierre dans le jardin des idéologues du tout symbolique. La connaissance sensible est ici clairement démontrée par l'expérience vivante, renvoyant au placard des fantasmes technologiques le projet du Google brain et autres projets de cerveaux artificiels : un cerveau sans le corps, ce n'est rien, et un corps sans expérience sensible et apprentissage corporel, ce n'est certainement qu'un morceau de viande ... ou de ferraille, pour les techno-convaincus de la pensée artificielle.

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